Bureau du Capitaine

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BUREAU DU CAPITAINE

Nous éclipser du kadie's pendant la bataille était de loin la meilleure idée sur le moment. Je ne pouvais pas me mouiller et attirer l'attention une fois de plus dans la soirée, nous nous sommes donc eclipsés.
Le commissariat n'est pas très loin du kadie's, alors, autant y aller à pince. Economie de biftons de taxi en plus. J'me suis allumée une cigarette en sortant du bar, l'air frais d'la nuit, la nicotine, la bruine qui se transformera en orage durant la nuit... Itinéraire logique. J'me tais durant tout le trajet, on aura bien l'temps d'parler dans mon bureau. Et puis, ce soir ils sont tous affairés au kadie's, personne ne nous dérangera.

Les rues sont désertes, spectacle désolant, mais ne m'y attarde pas plus. Je pénètre dans le comico, désert, vraiment pas étonnant. Direction mon bureau, volets fermés, obscurité totale, j'allume la lumière. Je décroche mon tanto de ma ceinture et le dépose sur mon bureau, surement le plus ordonné au monde, je déteste l'accumulation inutile de paperasse. J'espère que l'homme qui m'accompagne m'aura suivit au moins. J'sors une bouteille d'un meuble, un whisky, une très bonne bouteille, de sortie que pour les grandes occasions, enfin, façon d'parler. J'invite mon interlocuteur à prendre un siège, alors que je m'assois sur le rebord d'mon bureau, mon regard rivé sur le sien.

'Bien, vous savez ce qui vous attend ?'

Y a du bon et du mauvais à marcher à Basin. Le mauvais c'est la bruine, un bien mauvais présage. Il en est qui aiment la pluie lorsqu'elle est forte. Je hais la pluie, elle gêne les sens. La visibilité baisse, on vise moins bien, la pression des gouttes d'eau bloque le mouvement, et le bruit assourdissant de l'eau contre le macadam me file de l'acouphène. Le bon, c'est que ça permet à Lynd de ne pas interrompre le spectacle qu'elle m'offre, ses hanches qui roulent sous mon regard, j'en oublierais presque la raison de cette marche, sans pour autant désirer qu'elle ne s'achève. Mais il le faut, et lorsque nous arrivons enfin au comico, il est plus désert que l'estomac d'un gamin du Darfour. C'est pas plus mal.

On avance en silence jusque son bureau, plus clean que n'importe quelle maison de n'importe quelle mère de famille dans n'importe quelle pub pour n'importe quelle produit ménager. Et va savoir pourquoi, j'ai l'impression que ça serait pas bien compliqué d'y foutre un méga bordel. Ouais, vraiment, je sais pas pourquoi c'est la première idée qui me traverse l'esprit. Faut dire, c'est pas franchement à propos, pour le coup. Mais voilà Vesper qui sort une bouteille de Whisky, et prend l'initiative de rompre le silence. Comment ça, ce qu'il faut faire ? J'en ai aucune idée, j'ai encore jamais foutu les pieds dans son bureau, et encore moins pour m'inscrire aux registres.

- Surprenez moi...

Je m'avance jusqu'à la chaise qu'elle me désigne et m'y pose, là, juste à quelques centimètres de ses jambes croisées sur la planche, tandis que la porte se referme en silence dans mon dos. J'espère qu'elle a un stylo.

'Surprenez-moi...', que voulez vous répondre à ce genre d'invitation ? Pour une femme comme moi, ne résistant pas aux charmes des hommes qui peuvent croiser mon chemin, la tentation est grande. Mais, l'heure n'est pas vraiment à la débauche, n'est-ce pas ? Sans pour autant répondre, j''fais glisser l'un des verres posés sur mon bureau vers le bord de ce dernier en direction de mon hôte et vient y verser ce qu'il faut de whisky.

'Bien, entrons donc dans le vif du sujet. C'est pour ça que nous sommes là après tout. Donc, avant d'être interrompu par cette folle furieuse de Lane, je disais qu'il vous fallait une nouvelle identité. Vous inscrire sur un registre n'est franchement pas ce qu'il y a de plus compliqué, ni le reste en y réfléchissant d'un peu plus près. J'ai deux possibilités à vous soumettre. La première est la suivante, vous usurpez l'identité d'un flic préexistant et on fait transférer le dossier ici, la deuxième, vous renaissez. Création d'un dossier, d'un nom, d'une histoire... Bref, vous voyez le topo.'

Ca, c'est dans un premier temps, dans un second temps, il faudra mettre au point le pourquoi du comment. Ce que j'attends exactement et ce qu'il compte faire de son nouveau statut acquit. J'viens piocher une cigarette dans le paquet de clopes posé sur mon bureau et fait glisser ce dernier à côté du verre, simple politesse. J'viens coincer la clope sur le coin de mes lèvres et l'embrase à l'aide de mon zippo, et plongeant mon regard dans l'sien, j'attends toutes propositions, objections ou questions éventuelles.

Elle me propose un verre, mais va savoir pourquoi, et bien que son Whisky ait l'air particulièrement savoureux, je n'y touche pas. La gorge n'est pas encore sèche, j'attend un peu que l'envie se présente ; on n'est pas pressés. En revanche, personne n'a jamais craché contre une cigarette offerte. Aussi, dès lors qu'elle achève son speech, avant que de répondre, je sors une clope du paquet, la glisse entre mes lèvres et en embrasse le bout. Deux bouffées rapides avant de prendre à mon tour la parole.

- Usurper une identité est beaucoup trop dangereux, et ce serait céder à la facilité. Autant créer un nouveau dossier. Par ailleurs, il sera bien inutile de modifier les données me correspondant, je suis suffisamment connu en ville pour que cela ne passe pas. Il s'agirait donc de pallier à cette problématique : comment faire passer un hors la loi notoire pour un flic intègre sans n'alerter personne ?

Je tire une nouvelle taffe sur la clope, plus longue. Je sais pas vraiment ce qu'elle fume, mais les filtres m'ont toujours gêné. On ne sent plus le goût de la nicotine, et, avec le temps, de sentir les brins de tabac froid s'humidifier contre mon palais sont entrés dans mon habitude. Fumer quelque chose de propre à cet effet étrange de créer une forme de sentiment de manque. J'ai l'impression de ne fumer qu'à moitié. Tant pis, on ne crache pas sur un cadeau, même lorsqu'il s'agit d'une clope pour non fumeur.

- Les dossiers des infiltrés sont classés confidentiels, n'est-ce pas ? Dans les commissariats lambdas, c'est une unité particulière qui les gère, mais dans un district comme Basin City, il est fort probable que vous puissiez mettre la main sur ces dossiers. On raconte même au coin des ruelles que l'ancien dirigeant de la cellule des infiltrés a été tué, et qu'il n'a pas encore trouvé successeur. Le plus probable en serait donc que ce soit vous qui ayez hérité de ses effectifs. Donc, créez moi une fiche, revendiquez y chacune de mes effractions, et placez cela sous la coupe de mon rôle d'infiltré. Pour faire simple, j'ai toujours été flic, envoyé en infiltration du milieu criminel, et ma mission est aujourd'hui achevée. Inversons simplement les vapeurs, donc. Offrez moi un poste de prestige en récompense des risques encourus, et je serais applaudit par le reste du comico avant qu'ils ne cherchent à connaître la vérité.

Il ne touche pas à son verre de whisky, ça pourrait en être presque vexant si nous nous trouvions dans une situation et une ville un peu plus normale. Là, je m'en formalise pas plus que ça. Il doit penser que son verre est empoisonné, l'idée m'amuse. Mais j'en doute. Après avoir pioché dans mon paquet d'clopes si gracieusement offert, j'range mes Red Apple dans la poche de mon jean, et pendant qu'il m'expose sa façon d'voir les choses j'tire dubitativement sur ma clope.
Bizarrement, usurper l'identité de quelqu'un me paraissait beaucoup plus facile. Usurper l'identité d'un mort par exemple. 'Fin bref. J'me lève, coincant ma clope entre mes lèvres, et m'dirige vers le fauteuil planté derrière l'bureau et vient m'y asseoir. Ca fait plus mieux, comme qui dirait, mais bref. J'allume mon ordinateur, mon statut de capitaine et mes diverses associations me permettent d'avoir accès à certaines choses. Une fois qu'il a finit d'parler, j'avoue que l'idée du type infiltré est beaucoup plus excitante et prometteuse.

'J'ai accès à beaucoup plus de choses que vous ne pouvez l' imaginer. Faut pas croire, y a pas qu'à Basin que les flics sont ripoux, y'en a partout à travers les US. Du fait de mes origines, j'ai des contacts et du pouvoir ailleurs qu'ici, force de persuasion ajouté en plus. Mais soit. Allez pas croire que vous allez me voler la vedette ici, n'oubliez pas c'est mon territoire, celui qui prendra ma place est pas encore né. Même si c'est pas votre objectif, comme on dit, un homme averti en vaut deux. '

Je marque une légère pause pour tirer deux trois bouffées d'nicotine avant d'reprendre.

'J'aimerai bien connaître votre nom au passage. Parler avec une ombre devient vite lassant.'

J'hésite un instant à lui filer mon nom. C'est sûr que, dans une ville comme Basin où les trois quarts des citoyens voguent sous une fausse identité, un nom ne signifie pas grand chose, autant dire que ça ne m'apporterait aucun réel danger. Simplement, obtenir ce que je désirais sans n'offrir de contrepartie concrète m'amusait après. Et puis, je me ravise en réalisant que, d'une part, pour le moment, je n'ai encore rien obtenu et, d'autre part, jusqu'ici, c'est plutôt moi qui donne. Alors jouons le jeu jusqu'au bout, et offrons lui ce nom qui ne rime à rien, si ce n'est de lui permettre de jeter un oeil à mon casier qui, lui non plus, ne rime pas à grand chose. J'y ai jeté un oeil une fois, ça m'a fait rire. L'identité y est reconnue comme fausse, le parcours particulièrement incomplet, et les analyses psychologiques révèlent un personnage impossible à cerner. Les psys, ou comment gratter le papier et combler les lignes pour répéter en boucle qu'on est incapable de dire quoi que ce soit. Quelle bande de tocards. Je divague.

- James Dillinger, pour vous servir.

C'est pas tout à fait faux. Faut croire que j'ai désormais devant moi ma nouvelle boss. J'ai jamais vraiment aimé avoir un patron. Sans dieu ni maître, si ce n'est les quelques divinités de bruyères, ce qui, soyons réaliste, ne revient pas à grand chose dans la toute puissante acropole. James Dillinger, militaire déserteur, se pare d'un nouveau patron, qui plus est un canon. Y a du conflit d'intérêt dans l'air, ça pue la promotion canapé. Comme on dit, qui vivra verra.

Et puis, j'en viendrais presque à m'impatienter. Je dois admettre être quelque peu frustré. Je pensais que ça serait le genre de truc qui se règle en signant un formulaire que personne n'a jamais lu, pas même ceux qui l'ont rédigé, et que j'aurais droit à une belle plaque et un holster tout neuf. J'aurais même penser que de remplir les cases d'un fichier, c'était l'affaire de l'administration. Mais maintenant que je vois comme les choses se déroulent, elles me semblent en effet plus empruntes de logique. Après tout, on peut dire que mon affectation se fait de manière bien peu conventionnelle.

Alors que je tapote quelques trucs sur l'ordinateur, je lève un regard interrogateur vers James, puisque, visiblement, c'est ainsi qu'il se nomme, James Dillinger. Je crois voir à peu près à quel énergumène j'ai affaire. Bien. J'me calle au fond d'mon fauteuil, croisant les jambes et tirant sur ma clope autant que j'puisse.

'De toute manière, vous serez un électron libre, mais, sous surveillance. Et puis, tant qu'à rendre les choses le plus réaliste possible, un rapport sur tous vos agissements est de mise. Et quand la situation le permettra je vous présenterais à vos nouveaux collègues !'

Ca m'amuse, et j'souris. De toute évidence transférer quelques données ne prendra que quelques minutes. Pas besoin d'en faire plus.

'J'vais m'charger de toute la paperasse. Vous n'aurez rien à faire, j'ai déjà toutes les données en main. Vous percevrez plaque et armes en temps voulu. Et si vous n'avez aucune question, vous pouvez disposer. C'est quartier libre cette nuit.'

- Pour ce qui est du rapport, vous êtes évidemment bien consciente que vous ne pourrez compter sur moi sur ce point. Vous êtes parfaitement au fait de mes objectifs qui, soyons réalistes, ne rentrent pas vraiment dans les cases du flic lambda. Nous pouvons d'hors et déjà sauter ce passage, vous n'aurez qu'à y entrer ce que vous désirerez, tant que cela a pour but d'effacer les doutes de l'administration. Maintenant, si vous désirez une entrevue journalière, je pense que cela rentre dans le domaine du possible.

La séance étant ajournée, je me saisi du verre de Whisky et le vide d'un trait avant de me lever, replaçant la cigarette entre mes lèvres.

- Oh, oui, une dernière chose. Au vue des risques encourus par mon statut d'infiltré, ainsi que des informations fondamentales apportées par ma contribution, je pense que de m'offrir, en forme de récompense, le statut de Sergent ne serait pas du luxe.

Je me dirige vers la porte, et puis, après l'avoir ouverte, avant de me retirer, je me tourne une dernière fois en direction de Lynd et glisse ma carte dans l'angle du tableau contre le mur.

- Lorsque vous désirerez me voir, que ce soit pour me présenter mes nouveaux collègues, me filer ma plaque, ou autre, appelez moi.

Et je sors. Je retrouve la bruine des ruelles mortes. J'ai encore à faire, direction le Vindicate.

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